mercredi 10 novembre 2010

J'inaugure mon blog avec ce très beau livre de Goliarda SAPIENZA,  "l'Art de la Joie"... Je pense que c'est avec lui que j'ai passé un de mes derniers et grands moments de lecture ... Déjà, le titre en dit long ... Sensualité, Volupté, Liberté ...



Un météore éblouissant, le livre d’une vie qui commence ainsi :  "Et voyez, me voici à quatre, cinq ans traînant un bout de bois immense dans un terrain boueux. Il n’y a pas d’arbres ni de maisons autour, il n’y a que la sueur due à l’effort de traîner ce corps dur et la brûlure aiguë des paumes blessées par le bois. Je m’enfonce dans la boue jusqu’aux chevilles mais je dois tirer, je ne sais pas pourquoi, mais je dois le faire. Laissons ce premier souvenir tel qu’il est : ça ne me convient pas de faire des suppositions ou d’inventer. Je veux vous dire ce qui a été sans rien altérer.
Donc, je traînais ce bout de bois ; et après l’avoir caché ou abandonné, j’entrai dans le grand trou du mur, que ne fermait qu’un voile noir couvert de mouches. Je me trouve à présent dans l’obscurité de la chambre où l’on dormait, où l’on mangeait pain et olives, pain et oignon. On ne cuisinait que le dimanche. Ma mère, les yeux dilatés par le silence, coud dans un coin. Elle ne parle jamais, ma mère. Ou elle hurle, ou elle se tait. Ses cheveux de lourd voile noir sont couverts de mouches. Ma sœur assise par terre la fixe de deux fentes sombres ensevelies dans la graisse. Toute la vie, du moins ce que dura leur vie, elle la suivit toujours en la fixant de cette façon. Et si ma mère – chose rare – sortait, il fallait l’enfermer dans les cabinets, parce qu’elle refusait de se détacher d’elle. Et dans ces cabinets elle hurlait, elle s’arrachait les cheveux, elle se tapait la tête contre les murs jusqu’à ce qu’elle, ma mère, revienne, la prenne dans ses bras et la caresse sans rien dire.
  
Pendant des années je l’avais entendue hurler ainsi sans y faire attention, jusqu’au jour où, fatiguée de traîner ce bois, m’étant jetée par terre, je ressentis à l’entendre crier comme une douceur dans tout le corps. Douceur qui bientôt se transforma en frissons de plaisir, si bien que peu à peu, tous les jours je commençai à espérer que ma mère sorte pour pouvoir écouter, l’oreille à la porte des cabinets, et jouir de ces hurlements. Quand ça arrivait, je fermais les yeux et j’imaginais qu’elle se déchirait la chair, qu’elle se blessait. Et ce fut ainsi qu’en suivant mes mains poussées par les hurlements je découvris, en me touchant là d’où sort le pipi, que l’on éprouvait ainsi une jouissance plus grande qu’en mangeant le pain frais, les fruits. Ma mère disait que ma sœur Tina, “la croix que Dieu nous a justement envoyée à cause de la méchanceté de ton père”, avait vingt ans ; mais elle était grande comme moi, et si grosse qu’on aurait dit, si on avait pu lui enlever la tête, la malle toujours fermée de mon grand-père : “Un damné, plus encore que son fils…”, qui avait été marin. Quel métier c’était que celui de marin, je n’arrivais pas à le comprendre. Tuzzu disait que c’étaient des gens qui vivaient sur les bateaux et allaient sur la mer … mais qu’est-ce que c’était que la mer ? »
L'Art de la joie résiste à toute présentation. Roman d'apprentissage, il foisonne d'une multitude de vies. Roman des sens et de la sensualité, il ressuscite les élans politiques qui ont crevé le XXe siècle. Ancré dans une Sicile à la fois sombre et solaire, il se tend vers l'horizon des mers et des grandes villes européennes...



1 commentaire:

  1. « La plume dans l’assiette »

    Au premier regard j’ai craqué pour cette élégante et délicate bannière.
    Remis de mon émotion, j’ai pensé que l’idée d’associer l’art de la table à celle de l’écriture conviendrait fatalement à tout gourmet ( dont je suis…) digne de ce nom.

    J’ai constaté, au fil de ma longue et talentueuse existence, que tous les modes d’expression artistiques finissaient toujours par se lier à l’art culinaire.

    Tous mes amis artistes aiment se retrouver autour d’une table pour partager.
    Voyez
    Le Bescond et ses sculptures,
    Séverine Vidal et ses livres,
    Try et ses peintures,
    Mimi Sarto et son théâtre,
    Elie et ses photos,
    Le petit Pic de la Mirandole ou encore Teï et leur guitare,
    La Marinette et sa caméra,
    La Lo et ses postures Yogestes,
    RL et son groupe de rock,
    Et bien d’autres encore,

    tous aiment la bonne chair.

    Donc et re-donc, donner l’envie de la lecture par des présentations de livres qui sont des coups de cœur, c’est génial et ça fait saliver… saliver dites-vous ? mais oui bien sûr ! saliver mais quoi ? les mandibules mon bon monsieur…. Et le tour est joué, le couple est formé.

    Précautions élémentaires pour profiter sans danger de ces deux arts majeurs :

    - Ne jamais planter sa plume dans l’assiette pour déguster la tarte Tatin ou autre met,
    - Ne jamais planter sa fourchette dans l’œil de Goliarda ou autre roman.

    Gouttons, salivons, parcourons, dégustons, buvons, lisons, savourons, dévorons, bouquinons.

    Aristote a dit : « philosopher la panse pleine et préférable au jeun sans lecture ».
    Quel grand homme ce bonhomme !

    Longue vie à cette bannière.

    Un dernier mot d'esprit entendu lors de ma carrière héroïque sous les drapeaux, bon mot de mon général 5***** dont je ne dévoilerai pas le patronyme et qui après avoir entendu le menu prononcé par un jeune officier disait:

    " Bon appétit cochon de popotier, que le cul vous pèle"

    à te lire... dans l'assiette

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